dimanche , 1 juin 2025

Blockchain: comment favoriser son épanouissement en France?

France Stratégie publie un rapport spécial blockchain avec des recommandations pour soutenir l’innovation liées aux « chaînes de blocs ».

Comment dépasser le stade des expérimentations blockchain pour établir un cadre à la fois pérenne et ambitieux sur la régulation, le soutien à l’innovation et la formation?
Organisme de prospective rattaché aux services du Premier ministre, France Stratégie vient de publier un rapport qui sert de “point d’étape” sur le sujet, en s’appuyant sur les contributions de nombreux experts issus de divers horizons. Le document formule aussi une série de recommandations pour favoriser l’épanouissement des activités autour des blockchains en France.

Joelle Toledano, Présidente du groupe de travail Blockchain de France Stratégie
Joëlle Toledano, Présidente du groupe de travail Blockchain de France Stratégie

Innovation technologique ou bouleversement économique ?

En préambule, le rapport, rédigé par un groupe de travail présidé par Joëlle Toledano (professeur émérite d’économie, chaire Gouvernance et régulation de l’université Paris-Dauphine, ex-membre du collège de l’ARCEP), décrit les grandes lignes de la blockchain, qui sert de socle technologique pour la validation des transactions en cryptomonnaies comme le bitcoin. Mais on peut aussi percevoir son essor sous un angle plus largement innovant au regard de la double capacité de ce vaste registre “distribué”: «stocker de l’information, de la préserver sans modification, d’y accéder et d’intégrer de nouvelles informations qui deviennent infalsifiables» et «transmettre des données de manière décentralisée, sécurisée, transparente et sans intermédiaire.»
Certains y voient une illustration d’innovation de rupture susceptible de bouleverser des pans entiers de secteurs économiques et technologiques: banque & finances (avec l’essor des levées de fonds par cryptomonnaies ou ICO pour Initial Coin Offering en anglais), assurance, logistique, santé, médias, jeux et Internet des objets (IoT). « L’ignorer n’est pas une option », tranche France Stratégie dans son rapport.

La blockchain: pour quoi faire?

L’organisme de prospective du gouvernement perçoit deux types d’applications de la blockchain. En premier lieu, les déclinaisons de services de type “notarial” à partir d’un registre qui a vocation à être partagé et qui peut changer les modalités de contrôle (transactions, transfert de biens, échanges entre personnes) et, en second lieu,  la certification des processus industriels ou financiers.
Des exemples concrets commencent à apparaître dans la traçabilité des médicaments ou des produits alimentaires. Ainsi, à la fin du premier trimestre 2018, le groupe de grande distribution Carrefour a présenté un process de blockchain de suivi des produits d’origine animale ou végétale dans la chaîne d’approvisionnement (producteurs, transformateurs et distributeurs). Les perspectives ne manquent pas dans d’autres domaines comme la sécurisation des processus de votes en ligne ou l’identification numérique des personnes.
Les réseaux de paiement électroniques peuvent commencer à trembler. Car la blockchain pourrait aussi servir à fluidifier les transactions automatiques dans le monde physique à travers ses smart contracts générés par Ethereum. Dans ce cas, elle servirait à développer des transactions programmables, sans intervention d’un tiers de confiance (comme un émetteur de cartes de paiement de type Visa ou MasterCard).

Blockchain : schéma de fonctionnement
> Blockchain : schéma de fonctionnement

Besoin d’une “régulation attractive”

Le rapport de France Stratégie souligne aussi les multiples enjeux associés à l’exploitation généralisée des blockchains publiques (architecture ouverte) ou privées (avec un périmètre restreint d’utilisateurs). L’aspect novateur n’échappe à personne.
En revanche, la difficulté de dissocier cryptomonnaies (On en recense 1500 au total) et blockchain complique la donne. Ainsi, le bitcoin traîne une sulfureuse réputation à cause de la spéculation boursière, de certains usages frauduleux pour des trafics en tous genres à travers des places de marché obscures (comme ce fût le cas du “supermarché de la drogue” Silk Road), et suite à une série de piratages dans le monde des bourses d’échange de cette cryptomonnaie, liées à des failles de sécurité.
Pour France Stratégie, c’est une condition sine qua non: «Il convient dès lors de mettre en place des régulations qui soient raisonnablement attractives pour les investisseurs et les entrepreneurs mais aussi suffisamment strictes pour contrôler et éliminer les usages frauduleux, protéger l’ordre public et le consommateur-épargnant.»
Des autorités comme la Banque de France et l’Autorité des marchés financiers (AMF) se montrent vigilantes pour éviter les dérives. Autre point non négociable: la vérification au préalable de l’identité électronique des biens ou des personnes puisque la blockchain sert de support d’enregistrement sécurisé des transactions.
D’autres défis techniques restent à relever comme le changement d’échelle («scalabilité») en cas d’intensification des usages des protocoles Blockchain. On met souvent en avant la lenteur du mécanisme blockchain de vérification et de validation des transactions en bitcoins: appel à des « mineurs », à des nœuds multiples et à des procédés cryptographiques. Un processus qui représente une nuisance environnementale car il consomme beaucoup d’électricité en raison de l’exploitation de ordinateurs aux puissances de calcul importantes dans la phase du minage dans des fermes informatiques. «Le site Digiconomist a évalué que le ‘minage’ consommait annuellement l’équivalent de la production électrique de la Hongrie,» évoquait Sammy Bebane, chargé de mission dans le groupe de travail dédié, dans une interview diffusée fin 2017. «C’est pour cette raison qu’aujourd’hui les mineurs sont organisés en ‘fermes’ dans des pays où l’énergie est bon marché, la Chine et l’Islande le plus souvent.»

Cybermonnaies : un flou juridique gênant en France

Alors comment intégrer la blockchain dans les circuits de l’économie classique? La réponse est loin d’être évidente selon France Stratégie, car son caractère décentralisé n’est pas vraiment compatible avec les systèmes de gouvernance des banques centrales. Néanmoins, plusieurs pays (Royaume-Uni, Canada, Inde, Suède, Singapour, Russie) ont lancé des débats pour faire la jonction entre monnaie et univers de la blockchain. Se dirige-t-on vers des Central Bank Digital Currency (CBDC) ?
En France, plusieurs enjeux sont à méditer pour l’éclosion des blockchains dans l’Hexagone. Comment lever l’insécurité juridique, faute d’encadrement clair par la loi? Comment rassurer les contribuables sur le traitement fiscal des opérations réalisées par cryptomonnaies? Des risques sur les responsabilités sont engagés. Au nom de leur obligation à identifier la provenance des fonds déposés dans leurs établissements, les banques françaises refusent de gérer les comptes des entreprises ayant des cybermonnaies à leur patrimoine. Gênant pour une start-up qui a levé des fonds par ICO…

Blockchain : une nécessaire montée en expertises et compétences
Dans son rapport définitif accessible en téléchargement (PDF), France Stratégie a dressé sept recommandations qui pourraient servir de socle de réflexion à un niveau national :
– Promouvoir des travaux de recherche et développement en misant sur l’interdisciplinarité ;
– Inciter au développement de formations approfondies et favoriser l’appropriation du sujet ;
– Établir les régulations de base pour contrôler les usages frauduleux des cryptomonnaies et développer les usages des blockchains en s’appuyant sur un groupe à compétences transversales, à l’intérieur de l’État ;
– Contribuer au financement des projets d’infrastructure logicielle ;
– Soutenir des secteurs correspondant à des domaines d’excellence ou d’intérêt stratégique en France;
– Tester, expertiser, former et s’équiper au sein des pouvoirs publics ; analyser l’évolution des blockchains publiques ; diffuser l’information, développer et utiliser des applications non critiques ;
– Répondre aux défis auxquels se heurte aujourd’hui «l’Internet de la valeur», ce qui suppose une monnaie numérique stable

 

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